La vie nous confronte à cinq réalités incontournables, assure le psychothérapeute David Richo dans son livre, Les cinq choses que l'on ne peut pas changer dans sa vie. Au lieu de disperser notre énergie à tenter de les maîtriser, apprenons plutôt à les accepter pour mieux les traverser. Cinq experts nous expliquent comment.
Avoir le courage de changer ce qui peut l’être, accepter avec sérénité ce qui ne le peut pas et posséder le discernement nécessaire pour faire la différence entre les deux.
Telle est, en substance, la
demande que Reinhold Niebuhr, un théologien protestant, a formulée dans les
années 1930, devenue depuis la prière des Alcooliques anonymes. C’est à partir
de cette triple proposition que David Richo a élaboré sa théorie du bonheur
dans Les Cinq Choses qu’on ne peut pas changer dans la vie.
Selon ce psychothérapeute
californien, chacun, tôt ou tard, affronte cinq réalités terrestres :
l’imprévu, le manque d’amour (ou la déloyauté), la souffrance, l’injustice,
l’impermanence (ou la finitude). Inutile de songer à fuir, seul un
positionnement juste peut nous faire traverser ces épreuves en nous permettant
d’en tirer des enseignements nourrissants. Pour faire ce chemin, nous avons
demandé à cinq acteurs français de la psychologie et du développement personnel
de nous servir de guides.
L'imprévu
Un entretien qui ne débouche pas sur un emploi, une mutation qui nous est
refusée, un enfant qui ne paraît pas… Avoir la sensation de ne pas, de ne plus
maîtriser sa vie est profondément anxiogène. Surtout dans notre culture, où la
dimension sacrée de la vie a été gommée au profit exclusif de sa conception
matérielle. Dans la pensée jungienne, c’est l’absence de conscience du lien
entre soi et l’univers qui est source de souffrance, de comportements
destructeurs. Ainsi, notre malaise est-il double. Au désarroi qui nous envahit
quand nos plans sont contrariés s’ajoute celui d’être seul. Cette impression de
dépossession nous fait alors recontacter l’enfant en nous, celui qui ne
comprend pas pourquoi on lui dit non. Et, plus le sentiment d’avoir été peu
soutenu, mal accompagné dans son enfance est grand, plus les « non » de la vie
sont difficiles à accepter. En revanche, si l’on accepte l’idée que l’existence
elle-même est soumise aux lois de l’univers, notre désir si humain de
toute-puissance s’en trouve relativisé.
En se demandant si l’élément perturbateur est dû à un événement totalement extérieur ou s’il est le résultat d’actes et de choix qui n’ont pas été aussi justes et judicieux qu’ils auraient dû l’être. Cet auto-bilan permet de redevenir acteur de sa vie et de mieux envisager l’avenir. Une autre piste à explorer : sonder notre manque. Nos projets ont été contrariés, et cela nous a privé de la satisfaction de leur réalisation. Mais de quel manque souffrons-nous? Quelle satisfaction attendions-nous exactement? Reconnaissance sociale, consolidation affective, amélioration matérielle? C’est en identifiant notre attente déçue que nous pouvons réfléchir à d’autres moyens de les satisfaire. Cet examen de nos actes, des événements et des opportunités nous ouvre à une dimension plus sensible et plus intuitive de l’existence. Et nous permet de prendre en compte des messages, des heureuses coïncidences qui vont nous aider, dit Jung, à faire les meilleurs choix pour soi.
Le
manque d'amour
Les gens ne sont pas toujours aimants et loyaux
Avec Dominique Picard, psychosociologue, auteure, avec Edmond Marc, des Conflits relationnels (PUF, « Que sais-je? »).
Pourquoi nous souffrons
Être aimé et se sentir aimé signifient se sentir reconnu, validé dans son
existence. Une société au sein de laquelle les liens et l’engagement ne sont
plus marqués du sceau de la pérennité favorise l’état d’inquiétude affective
permanente, tout au moins chronique. Sans le regard aimant des autres – amis,
conjoint, famille, collègues –, nous ne nous sentons plus exister, notre
identité personnelle se trouble. La demande d’amour contemporaine est une
demande de reconnaissance identitaire. Si elle reste sans réponse, c’est le
sens même de notre vie qui nous échappe. La déloyauté renvoie aussi à la
négation de soi : être trahi, cela signifie voir sa confiance, ses droits et
ses besoins ignorés, bafoués. La trahison brise le contrat tacite qui prévaut
dans tout échange humain équilibré : je donne et je reçois à hauteur de
mon don. Lorsqu’il y a rupture violente du contrat (adultère, licenciement,
trahison amicale), c’est non seulement notre confiance en l’autre qui est
abîmée, mais aussi notre confiance en nous-même (« Qu’est-ce que je vaux pour
être traité avec si peu d’égards? »).
Comment accepter
Il faut distinguer la déception affective et la déloyauté au sein d’une
relation (ami, couple, famille) de la trahison qui implique un tiers extérieur
(licenciement économique, escroquerie, etc.). Une relation est toujours une
cocréation. Pour avancer et éviter de répéter un schéma erroné, il est
nécessaire d’interroger le lien et la façon dont nous l’avons nourri.
Comprendre ce qui est de notre fait, et non de notre faute, comme disait
Françoise Dolto. Qu’ai-je donné et comment (trop, pas assez)? Qu’ai-je attendu
de l’autre? Ai-je été capable de satisfaire moi-même mes besoins essentiels? Ce
travail peut être fait avec un proche ou un professionnel de la relation d’aide.
Dans le cas d’une trahison inattendue, il est important de se réinvestir dans
des liens et dans des activités dont nous retirons sécurité et plaisir. Seuls
une restauration de l’estime de soi et le soutien de personnes aimantes
pourront progressivement atténuer le choc et panser la blessure.
La souffrance
La souffrance fait partie de la vie
Avec Stéphanie Hahusseau, psychiatre et psychothérapeute, auteure de Comment ne pas se gâcher la vie (Odile Jacob, « Poches »).
Pourquoi nous souffrons
Une rupture, un accident, une maladie… Imprégnés de culpabilité
judéochrétienne, nous gardons toujours en tête, même inconsciemment, le lien
entre souffrance et punition en réponse à un péché. Ce rapprochement est trop
souvent fait aujourd’hui par les malades, qui ajoutent à leur douleur le poids
de la culpabilité. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas utile d’explorer la
piste du « pourquoi », mais rechercher à tout prix la cause unique
est une quête vouée à l’échec. Les sources de souffrance sont aussi diverses
que leurs impacts. Elles varient en fonction de l’environnement émotionnel dans
lequel nous avons grandi. Si nous avons eu la chance d’avoir des parents qui
nous ont aidé à développer une culture de l’émotion (ressentir, nommer,
accepter), alors la douleur pourra être, plus tard, non pas évitée, mais
traversée, digérée. En revanche, si les premières émotions sont déniées, mal
accueillies, refoulées, la souffrance face à l’épreuve n’en sera que plus
intense.
Comment accepter
S’il est inévitable de souffrir, on peut toutefois interroger les croyances
génératrices de douleur. Certaines nous maintiennent dans le rôle de victime
(je ne suis pas à la hauteur), nous emprisonnent dans un scénario de répétition
(les histoires d’amour finissent mal), ou encore nous poussent à être en
décalage avec notre ressenti réel (je pleure d’avoir été quitté, mais suis-je
vraiment effondré?). Il s’agit là de dissonance émotionnelle. Pour se mettre à
juste distance de la souffrance, il faut commencer par s’immerger dans son
ressenti physique, afin de l’identifier clairement et de la nommer. Ce
processus chasse les pensées erronées et les émotions parasites. Enfin, il est
nécessaire de rechercher la première douleur pour mieux comprendre celle du
présent. Aujourd’hui, je souffre d’avoir été abandonné par mon conjoint. Quand
ai-je ressenti l’abandon pour la première fois dans ma vie? Faire face à
l’épreuve originelle et prendre conscience que l’on a déjà pu la dépasser aide
à mieux traverser celle du présent.
L'injustice
Pourquoi nous souffrons
L’épreuve de l’injustice nous rappelle cruellement qu’il ne suffit pas toujours
de vivre dans le bien et le vrai pour être bien traité par la vie. Trois causes
peuvent expliquer le sentiment d’injustice. D’abord, l’intolérance à la
frustration, une posture que notre culture, obsédée par la quête du bonheur
hédoniste et individuel, favorise. La non-satisfaction de nos désirs est vécue
comme une injustice. Ensuite, nous subissons parfois une situation objective
d’injustice qui nous rend impuissant, d’autant plus que le sens de l’épreuve
nous échappe (pourquoi être cruellement privé d’un être cher? Pourquoi être
licencié après s’être tant investi dans son travail?). Enfin, l’injustice faite
à autrui, proche ou inconnu, peut aussi être source de souffrance. Il s’agit
dans ce cas d’une atteinte à notre idéal, à notre code de valeurs morales, qui
fait que nous nous sentons personnellement touché et ne le supportons pas.
Comment accepter
En commençant par remplacer le mot « accepter » par « prendre en compte ». Puis
en interrogeant notre sentiment d’injustice : le ressentir ne signifie pas
qu’il soit réel ou légitime, ou encore qu’il nous exonère de nos
responsabilités. Subir la perte d’un être cher est profondément injuste et
douloureux. Aucun psy ne pourra réduire le temps du chagrin et de la colère; en
revanche, il pourra nous aider si la douleur est insupportable. Pour les autres
injustices, relationnelles ou existentielles, demandons-nous : « Que puis-je
faire de juste, donc de bon pour moi, pour répondre à l’injuste? » Cela nous
permettra de ne pas rester coincé dans l’amertume ou dans l’esprit de
vengeance. Mais il est essentiel, avant tout, d’identifier et de reconnaître
les émotions que l’injustice a fait naître. Nous ignorons trop souvent son
pouvoir toxique sur l’estime de soi. Paradoxalement, la victime, au lieu de se
défendre et de faire valoir ses droits, peut se sentir coupable et honteuse. De
ne pas être à la hauteur, d’être mal traitée. C’est pourquoi une injustice doit
toujours être nommée et « travaillée ». La garder pour soi est une vraie bombe
à retardement pour le psychisme.
L'impermanence
Tout change et meurt
Avec Alain Delourme, psychothérapeute, auteur, avec Alexie de Lorca, de Savoir dire oui pour construire sa vie (Hachette Pratique, « Les
Ateliers de Psychologies magazine »).
Pourquoi nous souffrons
La vie est un éternel renouvellement. Oui, mais… chacun désire s’installer pour
l’éternité, dans la situation ou dans la relation qui lui apporte plaisir et
sécurité. Une fois ce point d’équilibre atteint, nous faisons tout pour le
conserver, car l’idée de notre propre finitude nous est insupportable.
Pourtant, nous le savons, nos enfants grandissent, nos amis s’éloignent, notre
corps se transforme… Il existe plusieurs façons de se donner l’illusion de la
permanence : s’accrocher aux signes extérieurs de jeunesse, accumuler les biens
matériels, vouloir se prémunir contre les maladies, se refuser à toute
évolution, être dans l’hyperactivité pour fuir les face-à-face avec soi… Nous
sommes inégaux devant le changement. Plus nous l’avons vécu enfant dans une
ambiance d’angoisse et de drame, plus nous le craindrons à l’âge adulte. À
contrario, son expérience précoce comme donnée de la vie à la fois inévitable
et stimulante nous poussera plus tard non seulement à l’accepter, mais parfois
aussi à le rechercher.
Comment accepter
En observant autour de soi l’inéluctabilité de l’évolution et son côté positif
: dans la nature, dans nos relations, en nous, de manière à comprendre qu’il ne
peut y avoir de gain sans perte et que la vie est intrinsèquement cyclique.
Dans cette perspective, la pratique de la méditation de pleine conscience ou de
pauses contemplatives peut apaiser nos émotions et nous aider à prendre
conscience que le changement n’est pas une menace, mais une condition de
l’existence. Enfin, quand il est subi et non choisi, il est important de se
placer dans une double dynamique. En identifiant et en accueillant l’émotion
qu’il provoque (peur, tristesse, colère), puis en s’interrogeant sur les
opportunités qu’il peut offrir. À cette étape, le recours à un tiers (ami,
famille, collègue) peut être éclairant. Cela est particulièrement vrai lorsque
l’on fait l’expérience de la perte affective. S’investir dans un projet,
envisager de nouvelles perspectives est un moyen efficace de neutraliser sa
peur de l’inconnu.
Source : https://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Epanouissement/Articles-et-Dossiers/Accepter-ce-que-l-on-ne-peut-pas-changer
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