Il était une fois une petite fille qui avait un rêve de bonheur.
Il y a comme cela de par le
monde des petites filles douées pour le bonheur.
D'abord, elle était née un soir d'été, alors que dans le
ciel éclataient les premiers feux d'artifice de la fête de la Liberté.
Par la suite, sa peau se gorgeait de soleil dès
qu'apparaissaient les premiers rayons et ces couleurs de miel dont elle se
revêtait la rendaient éclatante de joie.
Oui, elle était très attirée par le bonheur.
Mais autour d'elle, on lui disait, on lui montrait comment
il fallait souffrir, travailler ou se sacrifier avant de goûter au bonheur. On
lui avait même laissé croire qu'il valait mieux inscrire dans son corps
quelques marques ou cicatrices révélatrices de sacrifices notoires, pour
mériter plus tard un peu de bonheur.
Comme elle n'avait aucun goût ni pour les souffrances, ni
pour les sacrifices, ni pour le travail, et qu'elle aimait rire dans le soleil,
s'amuser, se réchauffer auprès d'amis, elle se trouva vite en conflit et rapidement
elle préféra renoncer à son rêve de bonheur, ne plus y penser plutôt que de le
détériorer ainsi. Elle le cacha au fond d'une malle.
Très vite, le rêve perdit de son éclat et de sa vivacité,
puis elle l'oublia.
La petite fille, devenue grande, poursuivit des études, se
maria et eut beaucoup d'enfants... tout ce qu'il faut pour que comme dans les
contes, on puisse accéder au bonheur.
Nulle ombre de bonheur ne vint effleurer sa vie.
Elle vécut ainsi, avec économie dans la persévérance, la
peine, les obligations et les devoirs. Peu à peu son sourire lui-même se figea
sur son visage. Il lui arriva même de rabrouer ceux ou celles qui se
permettaient de rire un peu trop bruyamment.
Chaque jour elle s'efforça de tenir convenablement le rôle
qu'on lui avait appris.
Pour cela, elle veillait à ce que chacun, autour d'elle,
reçoive son comptant de bonheur. Cela, c'était permis et même recommandé, mais
pas plus!
Quelques fois, cependant, elle percevait qu'en elle
vibraient des désirs argentés, elle vivait des tiraillements, des petits
pincements au cœur, mais elle ne connaissait pas d'autres façons de faire.
Un jour, alors qu'elle était devenue vieille, que ses enfants
étaient partis, qu'elle pensait avoir accompli sa tâche, son rêve d'enfant lui
toucha doucement le front.
Elle retrouva le coffre où elle avait enfoui son rêve de
bonheur, le retourna en tous sens.
Elle en sortit les vieilles souffrances accumulées, les
rancœurs, les abnégations, les interdictions, quelques travaux, mis de côté
pour les jours où elle manquerait d'ouvrage. Elle retrouva même les
recommandations. Les conseils de ses vieux maîtres en éducation qui lui avaient
enseigné tout ce qu'elle devait retenir et modifier dans son attitude pour
parvenir à vivre des relations harmonieuses.
Elle écarta tout cela,
d'abord avec lenteur, puis rejeta le tout. Cela lui coûtait beaucoup de se
séparer de ces vieilles choses, mais elle avait besoin d'aérer sa vie. Tout au
fond du coffre, bien à plat, bien rangé, elle vit son rêve de bonheur, toujours
aussi soyeux et joyeux. Il n'avait pas pris une ride, peut-être même lui
apparut-il plus beau encore. Elle s'en saisit et le serra très fort sur son
cœur, elle sentit que tout au fond d'elle, elle ne l'avait pas quitté mais
qu'il lui avait terriblement manqué. Elle décida de ne plus s'en séparer.
Elle a aujourd'hui libéré
ses éclats de rire. Elle sait accepter, avec chaque fois le même
émerveillement, les plaisirs qui sont bons pour elle. Elle sait aussi
s'éloigner des contraintes qui lui rappellent les efforts d'antan. Elle
redécouvre précieux son besoin de bonheur, de cadeaux colorés à recevoir, à
entretenir.
Ceux qui l'approchent la perçoivent chaleureuse, rayonnante,
authentique. Certains s'en éloignent, sceptiques, mais d'autres se mettent à
leur tour à rêver de bonheur.
Aujourd'hui, elle ne
propose plus de recette, elle invite chacun à retrouver en lui-même ce très
vieux rêve enfoui.
Source : Jacques Salomé, http://sesouvenirdesbelleschoses.eklablog.com/belles-histoires-a-mediter-p948874
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