jeudi 5 novembre 2020

L’humour, c’est du sérieux

L’humour aide à requinquer l’estime de soi, à relativiser l’échec, voire à trouver l’âme sœur. C’est un allié drôlement précieux, explique la psychologue et conférencière Rose-Marie Charest.

Comment l’humour aide-t-il à vivre sereinement?

Même si aucune littérature scientifique ne permet de croire que l’humour a des effets thérapeutiques sur le cancer ou sur d’autres maladies, on sait qu’il a plusieurs bienfaits physiques, comme la détente. Il aide notamment à libérer des tensions et à diminuer l’anxiété. L’humour contribue aussi à dénouer des situations tendues. Certaines personnes passent des messages déguisés en blagues, par exemple. Mais attention : il faut un grand talent pour utiliser l’humour dans de telles circonstances sans tomber dans l’ironie.

Faire rire les autres, est-ce une façon de stimuler l’estime de soi, un antidépresseur naturel?

C’est un acte d’intelligence et de créativité qui n’est pas donné à tout le monde. Pour faire rire, il faut fonctionner à deux degrés intellectuels simultanément: vous mariez deux idées différentes et le résultat surprend et amuse. Ça demande un sens aigu de l’observation, une bonne dose de confiance en soi et la faculté de prendre des risques. Quand la blague fonctionne, oui, l’effet stimule l’estime de soi.

Le sens de l’humour, ça s’apprend ou pas?

Il y a des tempéraments qui s’y prêtent plus facilement que d’autres. Certains enfants — et même certains adultes — ont de toute évidence le bonheur facile. C’est une question d’attitude à l’égard de la vie : ces personnes vont facilement rire d’elles-mêmes ou relativiseront un échec. À l’opposé, il y en a pour qui tout est grave.

Ceux qui n’ont pas d’humour sont-ils plus malheureux que les autres?

Il y a certainement une source de plaisir à laquelle ils n’ont pas accès. Qu’il s’agisse de rire ou de faire rire, il y a deux dimensions à l’humour: le cognitif et l’affectif. Or, le style affectif de certaines personnes ne permet pas l’humour, car elles ont tendance à prendre les choses au premier degré. Alors que pour manifester un certain sens de l’humour, il faut une disponibilité à la joie.

N’oublions pas que les personnes en apparence douées pour l’humour ne sont pas nécessairement heureuses. Il s’agit peut-être d’une stratégie servant à composer avec la tristesse. C’est la fameuse image du clown qui pleure, même si ce n’est pas universel.

L’humour entraîne-t-il… l’amour?
Absolument, car il rend les gens plus aimables. Dans une rencontre amoureuse, c’est un élément de séduction fondamental, puisque la plupart des gens recherchent la compagnie des personnes qui ont de l’humour. On constate aussi que les personnes qui ont un défaut physique et veulent prendre leur place dans un groupe vont utiliser l’humour pour se faire aimer.

Hommes et femmes sont-ils égaux en matière d’humour?

On sait qu’il y a beaucoup moins de femmes humoristes que d’hommes. Peut-être est-ce parce que les femmes prennent davantage au sérieux les sujets qui les préoccupent. Ça fait partie de notre perfectionnisme, de cette tendance à vouloir tout faire très bien… Mais pour faire une bonne joke, il faut accepter de faire quelque chose de croche : tu ne peux pas peser chaque mot ou être totalement politiquement correct!

Par ailleurs, les femmes qui font de l’humour sont plus facilement accusées de vulgarité que les hommes. Il y a des sujets tabous pour elles. Une femme qui plaisante sur la sexualité a intérêt à se lever de bonne heure pour ne pas être critiquée…



Rire de soi, est-ce sain?

Oui, ça s’appelle ne pas se prendre au sérieux. Être capable de rire de soi, c’est être capable de se voir comme un tout, ce qui est essentiel pour être heureux. Par exemple, certaines très belles femmes vieillissent mal, car elles ont bâti toute leur confiance sur leur beauté. Elles n’ont appris à voir qu’une partie d’elles-mêmes, soit leur apparence.

Et rire des autres?

Camus disait : le cynisme est la seule intelligence donnée à tous. Rire des autres est extrêmement facile. Se valoriser en trouvant un défaut à l’autre pour en rire fait appel à la même mécanique que l’intimidation. C’est une forme malsaine d’humour qui donne l’illusion superficielle qu’on ne partage pas la faiblesse de la personne ciblée.

Peut-on rire de tout?

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’on peut tout faire et tout dire au nom de l’humour. Il y a des limites à respecter. Bien sûr, il faut faire attention à ne pas s’imposer de barrières trop étanches pour ne pas brimer la créativité. Mais dans la vie, notre pouvoir n’est jamais illimité. C’est la même chose en humour.

Source : Martine Roux, L’actualité

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