Du simple coup de main au besoin d’argent, il suffirait parfois de demander. Et pourtant… Qu’il est escarpé le chemin de l’appel au secours! Pourquoi tant de réticence à solliciter nos proches?
« Pas question de demander de l’aide avant d’avoir épuisé toutes
les solutions personnelles, confie Coralie, 42 ans, agent de voyages. Je me
vois comme un brave petit soldat qui ne faiblit pas. Ma devise pourrait être : « Aide-toi,
le ciel t’aidera ».
Inscrite à
l’encre indélébile dans nos esprits, cette citation du Chartier embourbé de Jean de La Fontaine rappelle,
en vérité, le vieux précepte biblique selon lequel nous ne devons pas invoquer
Dieu en vain, tout en transmettant, avant l’heure, une idée chère au
développement personnel moderne : nous pouvons beaucoup plus pour nous-mêmes
que nous le croyons. Pourtant, dans notre société hyperindividualiste qui
célèbre l’autonomie comme valeur suprême, automatiquement, nous la traduisons
par : « Tu ne dois compter que sur toi-même ». Tous ou presque, nous avons
grandi avec l’idée que ne rien demander à personne, jamais, est source de
gloire. Nous sommes fiers de proclamer que nul ne nous a aidés.
Or, nos fantasmes
de toute-puissance se révèlent de redoutables ennemis intérieurs lorsque nous
traversons des périodes difficiles (chômage, maladie, deuil, séparation, etc.).
Ou simplement en cas de besoin d’un coup de main ponctuel, pour déménager ou planter
un clou quand on est maladroit.
C’est se sentir
redevable
« Par l’intermédiaire de la demande, tout le passé s’entrouvre
jusqu’au fin fond de la première enfance », expliquait le psychanalyste Jacques Lacan. C’est dire que, chaque fois que nous ouvrons
la bouche pour solliciter une aide, nous réveillons plus ou moins consciemment
des fantasmes ou des angoisses enfantines.
La palme de la
difficulté revient à la demande d’argent. « Je n’hésite pas à me tourner vers
mes proches ou mes collègues pour des conseils, une écoute, du réconfort,
confirme Claudia, 44 ans, chef de projet. Mais pas question de solliciter une
aide financière. Longtemps, j’ai été très dépensière, je me retrouvais dans le
rouge, obligée d’emprunter à mes parents. Demander de l’argent, aujourd’hui,
serait un constat d’échec, la preuve que je ne suis pas réellement devenue
adulte. Je préférerais commettre un braquage »!
Dans ce monde
matérialiste, solliciter une aide financière renvoie à la honte qu’inspirent la
pauvreté et l’échec social. C’est oser avouer : « Je n’ai pas réussi ».
Complication supplémentaire : inconsciemment, la demande d’argent nous
réinstalle dans la position de l’enfant dépendant, qui a faim, froid ou peur et
ne peut compter que sur sa mère pour survivre. Elle ressuscite la « dette de
vie » qui nous lie à nos parents, à qui nous devons d’être au monde. Or, être
en dette est une situation difficilement supportable psychiquement. Comme l’a
montré le sociologue Marcel Mauss, nous sommes en position d’infériorité
vis-à-vis de celui qui donne, nous nous sentons à sa merci, dépossédés de
nous-mêmes. Nous devenons son « obligé ». D’où le soulagement quand nous
pouvons enfin prononcer cette petite phrase libératrice : « Nous sommes quittes ».
C’est se mettre à nu
« Je ne peux pas payer un déménagement, vous pouvez me donner un
coup de main »? « J’ai le vertige, tu ne voudrais pas venir remplacer
l’ampoule de la cuisine »? « Je ne comprends rien à ce dossier, tu
m’expliques »? Petit ou grand service, appeler à l’aide revient à avouer
son impuissance ou son incompétence – même si elle n’est que très limitée. Or,
pour certains d’entre nous, cet aveu est trop douloureux. À fortiori quand, au
plus mal, ils ont le plus besoin d’être épaulés. En effet, « le sentiment que
l’homme supporte le plus difficilement est la pitié, surtout quand il la mérite
», écrivait Honoré de Balzac.
Après un divorce
houleux, Jean-Jacques, 34 ans, cadre commercial, était au bord du suicide
quand, à l’approche des vacances, il a osé demander à un couple d’amis s’il
pouvait partir avec eux. « Vraiment, je n’osais pas. Avec mon épouse, nous
formions un couple modèle. Je croyais que tout était parfait entre nous. Je me
trompais puisqu’elle a rencontré quelqu’un, et en trois mois, tout était fini.
Demander le soutien de mes amis, c’était renoncer à mon image de mec qui a de la chance, qui réussit ».
Et endosser l’habit du type qui fait pitié, dont les autres parlent en disant :
« Le pauvre, tu as vu ce qui lui arrive, je n’aimerais pas être à sa place ».
C’est
risquer d’être rejeté
Il y a aussi ceux qui n’osent pas demander, de peur de « déranger
». Ce blocage résulte souvent d’une enfance où la personne avait la sensation
d’être en trop, de ne pas avoir de place dans la famille. Ou bien ses parents
étaient trop submergés par leurs propres difficultés pour pouvoir se soucier de
ses besoins. Par conséquent, elle a pris très tôt l’habitude de les taire et de
garder ses problèmes pour elle. Devenus adultes, nous devrions quand même
pouvoir réaliser que nos amis sont assez grands pour dire « non » s’ils ne sont
pas en mesure de nous aider. Mais voilà, ce « non », nous le redoutons parfois
encore plus. Aussi, nous nous faisons tout un cinéma intérieur, anticipons le
refus alors que nous n’avons même pas formulé notre requête.
Pourquoi tant d’angoisse?
Nous ne pouvons nous empêcher de penser que c’est notre être tout entier qui
est rejeté. Et commençons à douter de cet autre qui nous oppose une fin de
non-recevoir. Finalement, il est moins ouvert, moins sympathique et généreux
que nous le croyions… Comme l’écrivait le philosophe grec Épicure : « Ce n’est
pas tant l’aide de nos amis qui nous aide, que notre confiance en cette aide ».
Un refus de leur part et, soudain, le lien est mis à l’épreuve. « Se faire
aider » est désormais l’expression consacrée pour dire « aller voir un psy ».
Quand nous sommes incapables d’appeler nos amis, ou quand nous avons trop peur
d’arrêter un passant pour demander notre chemin (« Je n’ose pas déranger, il va
me prendre pour un idiot… »), il est temps de voir un thérapeute. D’ailleurs,
les psychiatres et psychothérapeutes comportementalistes utilisent cette
épreuve – parler à un inconnu dans la rue – pour aider leurs patients à
retrouver confiance en eux.
En tout cas, il
devient plus facile d’appeler au secours en prenant conscience que la plupart
des humains aiment rendre service et sont plutôt contents d’être sollicités. La
vie en société, c’est aussi le plaisir de l’échange et de l’entraide. Quand
nous réussissons à améliorer le sort des autres, nous nous sentons utiles,
fiers, plus aimables. Et n’oublions pas que les services que nous demandons,
nous aurons sûrement l’occasion de les rendre.
« À l’idée d’appeler à l’aide, beaucoup renoncent, estimant qu’il
s’agit d’un aveu de faiblesse. À mon sens, c’est tout le contraire. Cette
demande témoigne d’une capacité d’autonomie, dès lors qu’elle est faite dans la
liberté et la clarté. Il est donc essentiel d’établir un contrat clair avec la
personne que nous allons solliciter. Et de formuler les choses de façon posée,
dans le calme. Annoncer, par exemple : « J’ai une demande à te faire
: tu peux dire oui ou non ». C’est important que de laisser à l’autre la
liberté d’aider ou pas. Car il n’y a rien de pire que de soutenir quelqu’un à contrecœur.
Et cela signifie que nous sommes, pour notre part, dans la demande et non dans
l’exigence. Cela veut aussi dire que nous sommes capables de faire face à une
réponse négative. D’où l’importance de bien cibler la personne que nous allons
solliciter. Afin de ne pas remettre le pied dans des schémas anciens – le
sentiment d’être dévalorisé par l’autre, d’être jugé –, sachons choisir des
gens qui portent sur nous un regard bienveillant ».
Accepter d’être parfois dépendant
« Cette problématique me fait penser à un proverbe africain : « Il
faut tout un village pour élever un enfant ». Si nous avons tant de mal à
demander de l’aide, c’est que, dans notre société occidentale, l’accent est mis
sur la force, sur l’indépendance. Mais il est faux de croire que nous pouvons
toujours nous en sortir seuls. La première chose à faire serait donc de nous
extraire de cette illusion culturelle. Il nous faut accepter d’être, parfois,
légèrement dépendants! Je conseillerais ensuite de prêter l’oreille à ce que
nous nous racontons quand nous hésitons à solliciter quelqu’un. « Il ne
sera pas là », « Cela va le déranger », « Il n’aura pas le
temps » sont des pensées qui font écho à nos représentations passées.
L’enjeu : vérifier si ces perceptions sont toujours valables. Pierre ou Paul,
que je vais solliciter, réagiront-ils comme mes parents qui n’arrêtaient pas de
me dire : « Débrouille-toi »? Dans la plupart des cas, nous réalisons
que ces vieux schémas n’ont plus lieu d’être ».
Considérer le plaisir d’autrui à être sollicité
« Nous nous
mettrions en position de faiblesse? Changeons notre point de vue! Nous pouvons
considérer que nous allons faire plaisir à l’autre. Il ne faut pas oublier
qu’être sollicité peut se révéler valorisant. À mon sens, il est également
primordial d’affirmer son besoin, de le dire clairement : « J’ai besoin »,
avec ce « je », impliquant, pour interpeller l’autre de façon
gratifiante pour lui. Nul besoin de se justifier démesurément, l’autre n’a pas
à rentrer dans ces détails. Nous ne faisons que perdre du temps et noyer le
poisson là où il suffit de montrer à autrui combien il compte pour nous.
Évidemment, il est nécessaire de dépasser la sempiternelle peur du : « Je
vais déranger ». Pourquoi valoriser systématiquement l’hypothèse négative?
Essayons plutôt de trouver des raisons positives comme : « Il va me
trouver courageux », « Elle va être contente que je la sollicite ».
Et surtout, n’oublions pas de remercier. Et, par-là, d’indiquer combien cette
intervention amie a été importante pour nous, et enrichira notre relation ».
Source : https://www.psychologies.com
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