Amandine tente d'attraper l'insecte multicolore et le poursuit à travers les champs. Elle danse, suivant le rythme du papillon qui a si soif d'air et d'aventure.
- Si tu m'attrapes, je
meurs. Le sais-tu?
La fillette s'arrête
brusquement tandis que le papillon se pose, léger, sur une fleur.
- Tu meurs? Pourquoi
devrais-tu mourir? Je te caresserais doucement, tout doucement pour ne pas te
blesser.
- Même la plus douce
des caresses est mortelle pour moi.
Amandine contemple,
sans le toucher, l'animal si fragile. En son cœur, elle le plaint de ne pas
pouvoir recevoir de câlins, ne serait-ce qu'un seul sans le payer de sa vie.
Elle ne pourrait pas vivre sans se faire câliner.
- Si j'étais un
papillon, je serais bien malheureuse et j'irais vers le bon dieu pour lui dire
que c’est injuste, qu’il devrait changer les choses.
- Pourquoi faire? Dieu
m’a fait le don de la vie et je lui en suis reconnaissant, même si mon passage
sur terre est éphémère. D’ailleurs, je n'ai pas le temps de me révolter,
puisque demain je serai mort. Autant profiter du peu de temps que j'ai à vivre.
- Es-tu donc si vieux?
- Oui, non. Je suis né
ce matin à l'aube.
- Alors tu es encore
bien jeune. Moi, je suis née il y a bien plus longtemps et mon âge se compte en
années déjà, s'exclame la petite, très fière de ses six ans.
- Pour moi, une heure,
c'est comme trois ou quatre de tes années.
Amandine a bien envie
de pleurer sur le triste sort du si beau papillon. Elle essaie de se retenir,
mais une larme roule malgré tout sur son visage. Dire que parfois, Amandine
passe des heures à ne rien faire ou à s'ennuyer. Elle a honte de s'être si souvent
plainte.
- Ne pleure pas
petite.
- Je ne pleure pas,
répond la fillette en essuyant furtivement une nouvelle larme indécente.
- Tu sais, pour moi le
temps ne passe pas aussi vite que pour toi. Et puis si ma vie est éphémère, je
n'en profite pas moins de tous les instants qui me sont offerts. Je n'ai pas le
temps d'être triste, je n'ai pas le temps de songer à moi et de m’appesantir
sur mon triste sort. Je vole de droite à gauche, je butine ici ou là, j’emplis
mon regard de la beauté du monde et des fleurs. Je me laisse porter par le vent
où il veut et comme il veut, sans réfléchir. Et seule sa caresse me remplit
d'aise. Qu'importe où je vais pourvu que mon être s'emplisse de beauté et de
joie pour l'éternité!
- Je ne comprends pas.
Si moi, on me disait que j'allais mourir demain, je serais désespérée de partir
et de laisser tous ceux que j'aime derrière moi. J'aime rire, j'aime chanter,
j'aime vivre. Je ne voudrais pas...
La petite se met à
sangloter.
- Peut-être que tu
serais d'abord désespérée... Et puis qui sait si tu ne te mettrais pas, comme
moi, à faire provision pour l'éternité de tout ce qui t'est bon dans cette vie.
La fillette écoute,
attentive, tandis que ses larmes coulent plus tranquillement maintenant.
- De toute façon ce
n'est pas tout à fait pareil. De tous temps, les papillons n'ont jamais vécu
très longtemps. La nature nous a donné la splendeur contre la durée. Nous avons
le pouvoir d'enchanter les cœurs, de faire naître des sourires aux lèvres
arides. Rien de tel que cette joie qui surprend enfants et adultes lorsqu'ils
nous aperçoivent. Il suffit de me poser sur le chapeau d’une dame pour que tout
le monde retienne son souffle émerveillé de mon audace et de mes couleurs.
Amandine se met
presque à regretter de ne pas être un papillon. Elle n'a pas tant de beauté à
offrir, elle, mais elle n'ose pas le dire au papillon. Elle qui le plaignait
peu avant, la voilà qui se met à l'envier! Cela n'a vraiment pas de sens.
- Tu te trompes, ce
que tu penses est plein de sens.
- Parce que tu sais
aussi lire dans les pensées! Rétorque Amandine qui se sent devenir minuscule,
aussi petite qu'un grain de poussière... ou un microbe!
- Chaque être, chaque
chose a un sens quelle que soit la durée de leur vie ou de leur existence, si
inerte soient-elles. Nous avons tous notre raison d'être. Toi aussi, tu as ta
place ici, même lorsque tu te sens inutile ou lorsque tu as l'impression
d'avoir perdu ton temps. Tu ne réalises pas le pouvoir que tu as sur tout ce
que tu approches. Une parole qui te paraît anodine va peut-être changer la vie
de quelqu’un sans que tu le saches. Un mouvement ou même un regard peuvent
modifier le cours de l'histoire. Et puis, le sais-tu? Tu as autant de beauté à
offrir qu'un papillon. Seulement, elle est différente.
- Vraiment?
- Oui, c'est sûr.
Amandine aimerait
serrer contre elle l'insecte si merveilleux. Elle esquisse un mouvement dans sa
direction, caressant l'air qui entoure le papillon.
- Adieu, petite.
- Adieu, gentil
papillon.
L’insecte s’élève,
gracieux, dans les airs, tourne un instant autour de la fillette qui le
contemple en souriant, puis il la quitte et s’envole vers sa destinée de
papillon. Amandine, quant à elle, retourne chez elle, le cœur gai, le visage
radieux.
Source : http://sesouvenirdesbelleschoses.eklablog.com/belles-histoires-a-mediter-p948874
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