Il suffirait d’imiter les gens heureux pour le
devenir. C’est ce que disent en substance tous les promoteurs du bonheur. En
théorie, ces affirmations sont vraies. C’est dans la pratique que les choses se
compliquent.
Le bonheur a-t-il
encore des secrets? L’hypothèse est peu probable tant le thème est abordé
continuellement, à travers de nouvelles études ou des livres qui viennent nous
expliquer comment l’attraper dans nos filets ou, au contraire, nous prévenir
que cette quête a tout de la chasse au dahu.
Mais, dans l’océan
des publications, deux sources font toujours référence. La première est l’étude
que deux chercheurs en psychologie, Shigehiro Oishi et Edward Diener,
partenaire de recherche du père de la psychologie positive, Martin Seligman,
ont menée en 2007 sur le thème de la quête du bonheur. Au total, dix mille
personnes ont été interrogées dans quarante-huit pays. Conclusion : être heureux est l’aspiration prioritaire, très loin devant
trouver le sens de la vie, devenir riche ou encore s’assurer le paradis. La
seconde source est une synthèse de toutes les recherches et études traitant de
la psychologie positive. Depuis quatre ans, ce recueil des « choses que font
les gens heureux » circule partout dans le monde, au point qu’il est devenu
une véritable bible apocryphe du bonheur. Parmi les
conseils en forme d’affirmations qu’il contient, nous en avons retenu sept, les
fondamentaux, que nous avons choisi de livrer à la réflexion critique du psychanalyste Jean-Michel Hirt.
Ce que disent les études.
La joie est
contagieuse. Ceux qui sont entourés de gens heureux ont un maximum de chances
de devenir heureux à leur tour et de le rester.
Le commentaire de Jean-Michel Hirt.
Il y a quelque chose
de l’ordre de l’évidence dans ce constat. Comme si l’on disait que notre humeur
est meilleure par une belle journée d’été douce et ensoleillée, quand on est en
bonne compagnie. Mais est-ce qu’une sensation plaisante suffit à rendre heureux?
Rien n’est moins sûr. Nous pouvons connaître un sentiment de bien-être, nous
sentir heureux, tout en étant avec des personnes qui le sont moins. Ou en nous
trouvant nous-mêmes dans une situation compliquée, qui pourtant nous apporte du
plaisir parce qu’elle sollicite notre intelligence et mobilise nos ressources. « Se
prendre la tête », c’est-à-dire penser, peut générer beaucoup de
satisfactions. Le bonheur des relations ne réside pas dans le calme plat,
l’absence de tensions, de conflits ou de complexité. Certains trouvent
d’ailleurs leur compte à être entourés de proches qui ne vont pas bien ou qui
sont englués dans les problèmes. Les mêmes éprouvent un malaise à fréquenter
des gens dits « heureux ».
Ses propositions.
Il s’agit pour chacun
de se mettre à l’écoute attentive de ce qu’il ressent (émotions, sensations)
lorsqu’il est en relation avec les autres. Le corps envoie des signaux qui nous
renseignent sur l’effet que produit sur nous tel ou tel lien. Mais, attention,
rien ne se joue en bloc, ni en un instant. C’est sur la durée qu’il faut juger.
On doit compter avec l’ambivalence des sentiments et des émotions, les nôtres
et celles de l’autre, mais aussi avec les circonstances qui colorent la
relation. Il est aussi intéressant de nous interroger sur les bénéfices que
nous trouvons dans la compagnie de personnes qui ne vont jamais bien, et sur ce
que nous rejouons de notre propre histoire avec elles.
Ce que disent les études.
Les gens heureux
savent rebondir après une épreuve et ne se laissent pas enfermer dans la
dépression.
Le commentaire de Jean-Michel Hirt.
La résilience reste
un phénomène bien mystérieux. La capacité à se relever est liée à quelque chose
de l’enfance, elle réside dans les ressources premières et inconscientes que
l’adulte a pu conserver de ces années-là. De fait, « cultiver la
résilience » est une expression qui n’a pas tellement de sens. Pour la
cultiver, il faudrait en connaître les ingrédients avec précision, ce n’est pas
le cas. Nous ne sommes pas seulement animés par des pulsions de vie; il y a
aussi des pulsions de mort qui œuvrent silencieusement en chacun de nous. La
résilience se joue entre ces deux régimes pulsionnels. Qui peut les quantifier?
Qui peut prédire de quelle manière se jouera et se terminera ce duel? Personne.
Ses propositions.
Tout d’abord, prendre
conscience qu’il y a en nous des forces qui nous tirent vers le bas, et que
d’autres sont comme un appel vers l’air, vers la lumière. C’est en encourageant
les secondes, en prenant soin d’elles que nous pouvons peut-être nous relever
plus facilement d’une épreuve. L’erreur serait de chercher à se relever très
vite sans en passer par un questionnement sur ce qui nous a fait tomber. On
sait aujourd’hui que la dépression est aussi une période de remaniement
psychique, de recherche intérieure, et que ce temps de repli favorise la
possibilité de poursuivre sa route autrement. Ce qui est aussi une façon de
chercher à être plus heureux.
3. Ils agissent pour être heureux
Ce que disent les
études.
Les
gens heureux n’attendent pas le bonheur. Ils sont actifs dans la quête et dans
l’expérimentation de tout ce qui peut augmenter leur sentiment de béatitude.
Le commentaire de
Jean-Michel Hirt.
On
retrouve dans cette formulation le volontarisme conquérant de la culture
américaine. Tout dépend de ce que l’on entend par « être actif » dans
cette quête : s’agit-il d’appliquer les recettes des best-sellers sur le
bonheur ou bien d’ouvrir un espace de questionnement sur soi pour connaître ce
qui peut accroître notre sentiment de bien-être?
Ses propositions.
Choisir
la seconde option : nous interroger sur la façon dont nous pourrions nous
sentir plus heureux. Cela peut passer par l’identification de nos résistances
(nos freins intérieurs) et des obstacles extérieurs, puis par une écoute
attentive de la façon dont s’exprime notre désir. Dans tous les cas, essayer
d’être heureux revient toujours à développer une forme d’attention et de
tendresse pour soi qui s’étend ensuite aux autres.
4. Ils sont dans le don
Ce que disent les
études.
Tous
les gens heureux utilisent une partie de leur temps à faire du bénévolat, à
écouter, à aider les personnes de leur entourage qui en ont besoin.
Le commentaire de
Jean-Michel Hirt.
Donner
procure une jouissance de soi-même. La gratification narcissique est
indéniable. Cela améliore et renforce l’estime de soi, et nourrit aussi nos
aspirations idéales. L’altruisme est un progrès de la culture, une conquête qui
est liée à la façon dont nous nous traitons nous-mêmes. Pour donner de manière
altruiste, et non se servir de l’autre pour combler uniquement nos failles
narcissiques, encore faut-il pouvoir s’aimer suffisamment, et cela n’est pas
une disposition présente chez tous. C’est toute la limite de l’injonction « Faites
le bien pour être heureux ». L’altruisme n’est pas l’opposé de l’égoïsme
sain, qui est un préalable en ce qu’il suppose une prise en compte de soi face
à l’autre.
Ses propositions.
Prendre
soin de soi en se mettant à l’écoute de ses besoins, de ses manques et de ses
attentes, puis essayer de les satisfaire à sa mesure et de manière personnelle
donne la possibilité de pratiquer un altruisme respectueux de l’autre et
bénéfique pour soi. Un « donateur » frustré, ou qui a une mauvaise
image de soi, pourra difficilement respecter l’altérité de celui à qui il donne
et trouver une satisfaction dans le don. L’ouverture aux autres est gratifiante
pour les deux parties lorsque l’on s’est d’abord ouvert à soi-même.
5. Ils voient le bon côté des choses
Ce que disent les
études.
L’optimisme
est une condition sine qua non du bonheur. Contrairement aux pessimistes, les
optimistes pensent qu’après la pluie vient toujours le beau temps. Et ils font confiance
à leurs ressources pour faire tourner les choses à leur avantage.
Le commentaire de
Jean-Michel Hirt.
Il
n’est pas question de nier les bienfaits de l’optimisme. Mais il est important
de préciser que cet état d’esprit dépend pour une large part de l’histoire et
du vécu de chacun. Des événements difficiles et précoces, une famille anxieuse,
peu aimante ou trop silencieuse ne sont a priori pas des éléments qui
prédisposent à l’optimisme, même si ces éléments ne condamnent pas au
pessimisme. Tout dépend de la façon dont chacun fait avec son histoire et avec
ses croyances. Ce qui est certain, c’est que dans ce domaine la volonté est
hors jeu, ce qui rend vaine l’injonction à voir le bon côté des choses.
Ses propositions.
Seul
un travail sur soi peut permettre de changer de disposition intérieure, de
réviser ses croyances et de ne plus être prisonnier d’une vision négative de
soi, des autres et de la vie. Cela passe par la recherche des événements, des
images liées à son enfance qui ont contribué à une vision pessimiste et
anxieuse de la vie. Il peut aussi être utile de se remémorer les épreuves
surmontées et les succès obtenus. Cela aide à ne pas se sentir démuni face aux
difficultés.
6. Ils savent débrancher
Ce que disent les
études.
Les
gens heureux s’aménagent des coupures pour ne pas se laisser submerger par le
stress ou envahir par les autres.
Le commentaire de
Jean-Michel Hirt.
Il
est difficile de ne pas être d’accord avec ce constat, mais je ne m’en tiendrais
pas au sens évident du terme « débrancher ». Par débrancher, je
n’entends pas seulement couper le courant pour éviter le court-circuit, mais
plutôt mettre en veille pour en revenir à une forme d’intériorité qui n’est pas
seulement de l’ordre de la récupération. Il s’agit alors de débrancher pour se
rebrancher sur soi. S’accorder ce temps est une forme de bientraitance envers
soi qui nourrit le sentiment de bien-être.
Ses propositions.
Ce
retour à soi peut se faire de différentes manières. Par la méditation, la
rêverie, la pratique d’un art, par l’écoute de ses sensations corporelles, de
ses émotions, de ses pensées. L’essentiel n’est pas tant de courir après les
vacances ou les divertissements que de se donner régulièrement la possibilité
d’habiter pleinement son être, de ne pas vivre trop longtemps hors de soi.
7. Ils s’ouvrent à la spiritualité
Ce que disent les
études.
Prier,
méditer, s’adonner à des rituels spirituels sont des pratiques qui ont des
effets positifs sur la santé psychique. Les valeurs contenues dans les
religions contribuent au sentiment de bonheur.
Le commentaire de
Jean-Michel Hirt.
Ne
prendre en compte que la dimension matérielle de l’existence ne mène guère au
bonheur : l’argent et le confort sont des moyens, non des fins. Mais réduire la
spiritualité à des pratiques et des croyances religieuses est un peu simpliste.
Celles-ci peuvent être utilisées pour apaiser des angoisses et faire l’économie
d’une démarche de libération personnelle que permet l’exploration de sa psyché et
de son histoire. Il ne s’agit pas de nier les bienfaits de la prière ou de la
méditation, mais plutôt de ne pas les prendre pour des médicaments. Par
spiritualité, on peut aussi entendre l’ouverture à la dimension la plus vaste
de son esprit, c’est-à-dire à l’être dans toute sa complexité. Cette ouverture
se fait par la parole.
Ses propositions.
Être à l’écoute de
soi puis de l’autre, en étant attentif à la poésie des mots, sans s’attarder
sur le sens. Entendre ce qui provient de soi en termes de désir, d’idéal, de
singularité, même si c’est dérangeant pour soi. Entendre en souriant, ressentir
en nous le spectacle de la nature, une œuvre d’art, une lecture… Cela nous
permet de sortir de nos cachots, de passer d’une intelligence fonctionnelle à
une intelligence de l’être tout entier. Cet agrandissement de soi est constitutif
du bonheur d’êtreSource : https://www.psychologies.com
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